J89 — Naviguer et communiquer : dans l'œil de TR Racing
Si les skippers du Vendée Globe bouclent un à un leur tour du monde, l'heure est au bilan. Dans cette édition on parle de ma consommation du Vendée Globe, de l'équipe TR Racing et de sa communication.
Bonjour à toutes et tous,
“Naviguer et communiquer, le double défi du Vendée Globe”, voici le titre de l’édition qui avait suivi le départ de ce tour du monde à la voile, en solitaire, sans escale ni assistance. Deux mois plus tard, et alors que Charlie Dalin a bouclé le Vendée Globe en 64 jours, 19 heures, 22 minutes et 49 secondes, l’heure est au bilan.
Dans cette édition, je vous raconte comment j’ai consommé le Vendée Globe et surtout, les réponses aux questions que je me suis posées lors de la course et auxquelles Sébastien Vandame, Directeur Marketing et Partenariats de TR Racing, a répondu. Un échange qui, au-delà du Vendée Globe, m’a éclairé sur le modèle économique d’un sport très semblable au cyclisme et dont la singularité tout comme la difficulté interpellent les sponsors. Quant aux deux skippers de TR Racing, Thomas Ruyant (7ème) et Sam Goodchild (9ème), ils sont arrivés ce samedi 25 janvier après, respectivement, 75 et 76 jours de course.
Une question ou une suggestion ? 📩 romane@tempsadditionnel.news
Quand vous faites chemin vers la Bretagne quelques jours après le départ du Vendée Globe, vous renouez rapidement avec l’habitude de lire Ouest France de bon matin. Si ma consommation du Vendée Globe a été print les premiers jours, elle a rapidement pris un tournant 100% digital et presque exclusivement réseaux sociaux. Quelques articles longs de L’Equipe ou de France Info ont complété mon suivi lorsque les publications Instagram n’étaient pas suffisantes pour comprendre l’actualité de la course ou les préparatifs de l’arrivée. Et contrairement à 2020, je n’ai pas embarqué dans l’aventure Virtual Regatta qui m’aurait sûrement davantage incité à engager avec l’écosystème web du Vendée Globe.
Bien que j’aie téléchargé l’application officielle du Vendée Globe, je dois avouer l’avoir peu utilisée. La mise en avant, sur l’écran d’accueil, de l’émission quotidienne Vendée Live, diffusée à 12h30 sur le site internet, YouTube et Facebook, a éveillé ma curiosité à deux ou trois reprises mais l’horaire était peu compatible avec une consommation régulière. À mon sens, ce Vendée Live est resté sous-exploité au regard des efforts nécessaires à sa production : les rediffusions ne sont pas suffisamment mises en avant sur YouTube, où il faut fouiller dans la playlist ou la page feed du site internet pour les retrouver. Ce format aurait gagné à être décliné en capsules courtes, adaptées à Instagram et TikTok où le choix éditorial a privilégié le contenu sportif plutôt que les à-côtés.
Des réseaux sociaux où le Vendée Globe fait office de narrateur de cette épopée maritime. On y trouve des récapitulatifs, des vidéos thématiques et une mise en lumière des histoires individuelles des skippers. L’accent est davantage mis sur les dimensions humaine et sportive de l’aventure que sur une opposition acharnée entre concurrents. Si le Vendée Globe reste avant tout une course, le ton employé met en valeur un esprit de fraternité qui l’emporte sur la rivalité.
SV : Fondée en 2018 par Thomas Ruyant, navigateur, et Alexandre Fayeulle, fondateur d’Advens un des leaders européens de la cybersécurité, TR Racing est une écurie de course au large basée à Lorient qui soutient les projets sportifs de Thomas Ruyant. L’équipe s’est initialement structurée autour de la construction d’un bateau pour le Vendée Globe 2020. À l’issue de la course, plutôt que de vendre le bateau, Thomas Ruyant a décidé de le conserver pour développer un projet innovant : un double programme impliquant un deuxième skipper qu’on accompagnerait dans ses débuts en Imoca.
Depuis deux ans, TR Racing accompagne aussi Sam Goodchild, mutualisant les avancées technologiques et l’analyse de données pour optimiser la performance des deux bateaux. Avec près de 100 capteurs collectant 1 000 données par minute, l’équipe bénéficie du soutien d’Advens pour exploiter ce volet technologique.
Les deux bateaux, portant le même nom Vulnérable sur le Vendée Globe 2024, partagent des fonctions supports communes et sont dans une approche comparable à une écurie de Formule 1. Ici, la distinction repose avant tout sur les skippers qui incarnent cette aventure sportive et technologique et des équipes sportives dédiées à chaque skipper avec le boat captain et des techniciens spécialisés dans certains domaines.
La campagne Vulnérable s’inscrit dans la volonté d’Advens de porter des messages à fort impact sociétal. Après LinkedOut lors du Vendée Globe 2020, puis For People et For the Planet en 2023, Vulnérable reflète la raison d’être d’Advens d’explorer et reconnaître notre propre vulnérabilité, non pas comme une faiblesse, mais comme une véritable force.
Chez TR Racing, la technologie est mise au service de la performance sportive, qui elle-même devient un vecteur d’impact. Cet impact repose sur la capacité des grands événements sportifs, tels que le Vendée Globe, à rassembler et mobiliser autour de valeurs communes et de messages porteurs de sens.
Instagram a été mon principal canal pour suivre l’événement. Les points carto en story me donnaient une vue d’ensemble sur le positionnement des skippers, ce qui, à mon humble échelle de curieuse, était amplement suffisant pour suivre la course.
Les comptes personnels des skippers jouaient parfaitement le rôle de fil d’informations. Ce n’est donc pas tant la performance sportive qui a retenu mon attention, mais plutôt leur capacité à partager leur quotidien, à capturer leurs émotions et à se rendre visibles de manière authentique.
Thomas Ruyant qui croise un avion de la Royal Air Force. Eric Bellion qui livre son ressenti en croisant des icebergs. Samantha Davies qui a toujours un mot pour Initiatives Cœur. Violette Dorange qui préfère ralentir que d’affronter une forte dépression. Kojiro Shiraishi adepte des jets de noyau tandis qu’Alan Roura s’est saisi des jets de chocolat à la mer. Sébastien Marsset qui explique le matossage. Boris Herrmann frappé deux fois par la foudre. Clarisse Crémer qui fait face aux filets de pêche d’un bateau chinois. La rencontre de Fabrice Amedeo avec des dauphins. La croisée de Damien Seguin avec un bateau sorti de Pirates des Caraïbes. L’humour très britannique de Sam Goodchild. La danse de Guirec Soudée pour le nouvel an.
Sur le Vendée Globe, être un bon storyteller est aussi important qu’être un bon skipper. Ceux qui marquent les esprits sont ceux qui savent raconter des histoires captivantes, ajoutant des sous-titres pour inclure tous les publics ou variant habilement les plans pour maintenir l’intérêt. Ils parviennent à émouvoir tout en restant authentiques, s’inspirant de la culture d’internet pour capter l’attention avec créativité. Plusieurs générations se mêlent et tout autant de styles de communication s’expriment.
Jean Le Cam et son traditionnel “clac clac clac” en vidéo n’a pas le même discours ni la même façon de filmer que ses compères. Le doyen de l’épreuve est attachant car on sait qu’il se prête au mieux à cet exercice mais le dynamisme et l’assiduité de son contenu sont moins au rendez-vous. Les carrousels des textes de Benjamin Ferré pour Le Télégramme peuvent sembler contradictoire avec les contenus forts d’Instagram pourtant ils sont devenus un contenu que j’attendais avec impatience en raison de leur singularité. Antoine Cornic a développé sa signature à force d’embrasser la mer. La trend “à bord vs à terre” a été reprise par plus d’un skipper. Beaucoup ont tenté de créer des contenus originaux comme le podcast “Les Z’Aventures du Capitaine Dutreux”, les capsules Retours vers le Futur de Damien Seguin, Le Journal de Bord de Tanguy Le Turquais sponsorisé par Get Your Guide sur TF1.
SV : Nous avons préparé la course avec une communication proactive en amont pour faire passer nos messages clés sur la mutualisation, l’innovation et la performance tout au long de l’année. Nous avons également anticipé les besoins en contenu en prévoyant de quoi animer nos comptes en cas de nécessité car nous restons dépendant du contenu que les bateaux nous envoient. Nous leur demandons de beaucoup communiquer et grâce aux moyens technologiques, nous sommes en capacité d’avoir beaucoup d’échanges mais il ne faut pas oublier qu’ils sont seuls à bord, à l’autre bout de la planète, qu’ils subissent des conditions qu’on ne maîtrise pas et qu’ils sont isolés.
Nous sortons aussi d’une année où il y a eu beaucoup de sport, il y a donc un suivi relatif et il n’y a pas de la place pour tout le monde. Nous l’avons anticipé en ayant nos propres réseaux, notre site internet ainsi que celui de notre partenaire. Nous avons créé notre propre contenu pour ne pas être dépendant des retombées qui peuvent être aléatoires. Nous avons adopté un rythme soutenu, avec une actualité par bateau tous les deux jours, un contenu que nous partageons également avec notre partenaire.
Avant le départ, nous avons énormément travaillé sur du contenu vidéo avec l’idée de changer des codes traditionnels de la communication dans la voile. Il y a eu le teaser qui était quelque chose de différent et le lendemain de la course, nous avons publié une vidéo de neuf minutes en noir et blanc, offrant un parallèle des derniers jours à terre de Thomas et de Sam.
Nous avons vite compris l’importance d’être autonome dans la création de contenus, même si Thomas et Sam ont pleinement joué le jeu. Sam, en particulier, s’est découvert une passion pour la réalisation de vidéos. Quant à Thomas, il s’est livré avec beaucoup d’authenticité en fin de course après la perte de son J2 (voile avant). Il s’est montré vulnérable, partageant ses moments de déception tout en expliquant et racontant son expérience. Il est à cœur ouvert et c’est aussi ce que le public a envie de voir. Le Vendée Globe c’est beaucoup d’ajustements parce qu’en quelques minutes ta course peut changer. Il faut pouvoir adapter son discours, sa tonalité, ses contenus et être flexible sur 80 jours.
Si l’absence de contenu fourni par les skippers rendrait la promotion de la course difficile, trop ou mal communiqué peut également s’avérer risqué. Il faut être un bon communicant et adopter une stratégie réfléchie. Partager ses moments de réussite, ses difficultés, ses galères et ses joies avec son audience revient aussi à les partager avec ses concurrents et leurs équipes à terre. Cela peut leur fournir des indices sur son état de forme. On l’a bien vu avec Charlie Dalin, qui a délibérément choisi de ne pas communiquer sur une fissure de 1,50 m dans sa coque. En jouant sur une forme d’intox, il répétait : “Tout va bien à bord de Macif”, tandis que son dauphin, Yoann Richomme, a opté pour une approche bien plus transparente, partageant ses émotions et son aventure.
Suivre les skippers sur les réseaux sociaux, c’est suivre une personnalité plutôt qu’un bateau. Si cela renforce la proximité et l’attachement avec une personne, cela peut aussi diluer la visibilité naturelle des marques associées aux bateaux. Dans ce contexte, chaque skipper a sa stratégie pour équilibrer la mention de ses partenaires.
Il y a les skippers qui publient exclusivement en co-partage comme ce fut le cas pour Charlie Dalin avec imocamacif, Guirec Soudée avec freelance_teamguirec, Sébastien Simon avec groupedubreuilsailingteam.
Il y a ceux qui ont opté pour le placement de produits comme Violette Dorange qui a largement promu la sortie de Vaina 2 au cinéma avec Disney dans ses premiers jours de course, Clarisse Crémer qui utilise une huile pour les cheveux l’Occitane ou encore Paul Meilhat qui dès les premiers rayons du soleil a sorti sa crème solaire Biotherm.
Il y a d’autres qui débutent toutes leurs vidéos en citant le nom de leur bateau et ceux qui taguent les comptes de leurs partenaires sous toutes les publications.
SV : Nous avions plusieurs objectifs pour ce Vendée Globe. D’abord, démontrer notre capacité technologique et d’innovation avec le nouveau bateau de Thomas Ruyant. Ensuite, donner une plus grande visibilité à nos skippers. Bien qu’ils soient des leaders dans leur classe, ils ne bénéficient pas toujours d’une notoriété à la hauteur de leurs performances. En France, on dit souvent que le vrai problème de la voile est qu’elle est visible, mais pas lisible. Entre la multiplicité des courses, des catégories et des projets, notre enjeu est de les rendre plus lisibles. Enfin, nous voulions faire rayonner la campagne de notre partenaire, qui vise à interpeller et sensibiliser autour du sujet de la vulnérabilité avec un sponsoring qui ne met pas en avant une marque mais une cause.
En tant que TR Racing, il s’agissait aussi de renforcer notre notoriété en tant qu’écurie qui tend à faire les choses différemment. Nous aimons essayer de nouvelles choses.
Aujourd’hui, le Vendée Globe est avant tout incarné par ses skippers, non pas par les marques. Si on fait un sondage auprès du grand public, seuls quatre ou cinq sponsors historiques seraient probablement cités. Pour cette raison, nous avons privilégié les comptes Instagram individuels des skippers, qui bénéficiaient déjà d’une certaine notoriété et que nous pouvions utiliser pour faire passer nos messages, notamment autour de la campagne Vulnérable, plutôt que d’avoir un compte équipe.
SV : Lors d’un séminaire communication organisé en juin avec les skippers, nous avons discuté du plan de fonctionnement pour le Vendée Globe et de notre manière de collaborer pendant la course. Dans le monde de la voile, il y a un consensus qui veut souvent qu’on ne communique pas sur les problèmes rencontrés. Nous avons donc posé directement la question aux skippers sur ce qu’on fait. Sans hésitation, Thomas a répondu qu’on peut dire les choses. En effet, cela peut donner des indices aux autres mais en réalité ils sont déjà à fond, ils ne peuvent pas se permettre d’être dans la gestion. Cela peut éventuellement jouer sur leur moral mais ils ne pourraient pas accélérer beaucoup plus.
À l’issue de ce séminaire, nous avons convenu qu’il n’y aurait, sauf cas très particulier ou de santé, aucune information à cacher. Par exemple, lorsque Thomas a perdu son J2, nous avons publié un communiqué dans les deux heures pour expliquer ce que cela signifiait pour sa course. Aujourd’hui, avec des pointages toutes les quatre heures, les passionnés suivent tout de très près et remarquent immédiatement une diminution de vitesse. Nous nous synchronisons avec ces pointages, ce qui nous laisse jusqu’au prochain relevé pour décider si nous communiquons avant ou après sur un fait de course.
Thomas et Sam ont pleinement intégré cette approche de communication transparente au point que nous n’avons pas eu à refuser une seule des vidéos qu’ils ont envoyées sur le serveur de la course, destinées à être partagées avec les journalistes. Cela illustre la confiance mutuelle : tout ce qu’ils nous transmettaient était pensé pour être diffusé.
SV : En termes de communication, suite à leur retour, les skippers partiront à la rencontre de leurs partenaires pour partager leur expérience. Avec un parcours exceptionnel et l’achèvement du Vendée Globe – une course que seulement 100/110 personnes ont terminé à ce jour – ils ont une histoire unique à raconter et il y a beaucoup de parallèles intéressants entre le monde de la voile et de l’entreprise. On fera aussi une petite tournée médiatique même si sur ce genre de course, l’élan médiatique est assez concentré sur le vainqueur.
Sur le plan sportif, très rapidement un débriefing détaillé sera organisé. Les bateaux, qui entreront rapidement en chantier, seront pris en charge par les équipes techniques afin d’effectuer les ajustements nécessaires pendant que les skippers profiteront d’une période de repos bien méritée. Le programme reprendra avec la remise à l’eau prévue pour fin avril, suivie de navigations préparatoires. Parmi les premières compétitions figure la Course des Caps, dont le départ est de Boulogne-sur-Mer le 29 juin prochain. Par la suite, Thomas Ruyant souhaite se concentrer sur des courses en équipage et la première grande étape de cette transition sera le Tour de l’Europe, qui débutera le 6 août à Kiel et en en plusieurs étapes. Un programme qui sert la préparation de l’objectif majeur qu’on a annoncé : la participation à The Ocean Race en 2027.
Et si vous vous êtes pris de passion pour le Vendée Globe cette année, sachez que France TV prépare une série de 6 épisodes de 35 minutes sur le modèle de Drive To Survive dans laquelle sont suivis 5-6 skippers dont Thomas Ruyant et Sam Goodchild. Une série qui débute à terre avec l’amont de la course, beaucoup de présence auprès des équipes techniques pendant la course en attendant de pouvoir récupérer les images des caméras installées sur le bateau, et enfin l’après Vendée Globe. La diffusion est prévue au premier trimestre 2026.